Droit, photos et musées (II)
L’interdiction des photos au musée d’Orsay a fait couler beaucoup d’encre. J’ai déjà rédigé un billet sur les fondements juridiques douteux d’une telle interdiction. D’autres (qualifiés, eux) ont fait de même : voir par exemple l’article d’Anne-Laure Stérin, « Un musée peut-il interdire de photographier ? », sur le site de l’Association des professionnels de l’information et de la documentation (ADBS).
Il en ressort clairement que les musées publics n’ont aucune raison légale d’interdire de photographier leurs collections. Inversement, la loi leur interdit-elle de ce faire ? Les règlements de visite et autres mentions figurant sur les billets ne sont-ils pas des contrats liant le musée et le visiteur ? La liberté prévaut en matière de contrat, sous réserve qu’ils ne soient pas contraires à l’ordre public (articles 6 et 1134 du Code civil).
N’ayant jamais fait de droit civil, je ne m’étendrai pas sur la validité de la qualification de contrat ou sur la validité des contrats eux-mêmes — le visiteur a-t-il bien connaissance des règles qu’il est censé tacitement accepter ? Plus simplement, un musée public a-t-il le droit de restreindre par contrat l’utilisation de ses collections ? Rappelons d’abord que celles-ci appartiennent au domaine public (article L2112-1 du Code général de la propriété des personnes publiques), au sens de la domanialité publique, ce qui explique par exemple qu’elles soient inaliénables. Or le domaine public est soumis à un principe de liberté : son utilisation est libre, sous réserve du respect de l’ordre public. L’administration a même le devoir de vous assurer son utilisation normale, conformément à son affectation ou de manière compatible avec elle. Inversement, elle doit avoir une bonne raison pour imposer des restrictions.
En l’occurrence, la loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France dispose que :
Est considérée comme musée, au sens de la présente loi, toute collection permanente composée de biens dont la conservation et la présentation revêtent un intérêt public et organisée en vue de la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public.
Faire des photos me paraît personnellement relever de « la connaissance, de l’éducation et du plaisir du public ». Au-delà, la liberté de photographier est une liberté individuelle : rappelons que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » (article 4 de la DDHC). Elle relève également de la liberté de créer, droit fondamental lié à la liberté de pensée et à la liberté d’expression (voir par exemple Nicolas Bronzo, Propriété intellectuelle et droits fondamentaux, p. 26 et suivantes). Tout l’objet du droit d’auteur, au passage, est d’inciter à la création. La liberté de photographier se rattache enfin, dans le cas des photographes professionnels, à la liberté du commerce et de l’industrie. Ce sont de bien grands mots, mais défendre le droit pour des visiteurs de se prendre en photo au téléphone portable dans une pose censément drôle devant L’Origine du monde, c’est aussi défendre le droit pour tout un chacun de faire ce qu’il veut sans que l’administration vienne lui expliquer ce qu’est le Bien™.
Une liberté n’est jamais absolue. En l’occurrence, il entre également dans la mission des musées d’assurer la bonne conservation des collections (article 2 de la loi du 4 janvier 2002), tout comme de veiller à la sécurité des visiteurs et au bon ordre. Ce sont les arguments qu’invoque Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture en réponse à la question écrite du parlementaire Patrick Beaudouin (voir l’article du site Louvre pour tous) :
L’utilisation de flashs, nuisibles pour la conservation des œuvres malgré leur interdiction, et les difficultés de circulation des visiteurs devant les œuvres les plus emblématiques portant préjudice au confort de la visite de l’ensemble des publics ont conduit le musée d’Orsay à prendre cette décision.
Des restrictions aux libertés publiques et à l’utilisation du domaine public sont tout à fait possibles si et dans la mesure où elles sont nécessaires : comme le soulignait le commissaire du gouvernement Corneille dans l’arrêt CE 10 août 1917 Baldy, « la liberté est la règle et la restriction de police l’exception ». Les interdictions « générales et absolues » sont en soi suspectes et ne sont admises que si une mesure moins contraignante est insuffisante (Chapus, Droit administratif général I, §932 et suivants). L’interdiction partielle de photographier au musée du Louvre (désormais révolue) me paraît assez raisonnable de ce point de vue : l’escalier de la Victoire de Samothrace est notoirement encombré par les photographes, ce qui gêne effectivement la circulation. Inversement, comment justifier l’interdiction totale de photographier, y compris sans flash ni trépied, au musée d’Orsay ? Le ministre reconnaît lui-même que le problème de circulation ne concerne que quelques œuvres emblématiques. Il cite d’autres musées qui interdisent également les photos, par exemple le Prado. Toutefois, le Metropolitan Museum de New York autorise le trépied sans que cela pose le moindre problème. Et que dire des artistes autorisés à faire des dessins, qui encombrent d’autant plus qu’ils restent longtemps au même endroit ?
Une jurisprudence récente (CAA Nantes 4 mai 2010 EURL Photo Josse) est ici particulièrement éclairante. En l’espèce, le maire de Tours a refusé d’autoriser un photographe professionnel à opérer au musée des Beaux-Arts de Tours. Le photographe a contesté cette décision devant le tribunal administratif. Sa requête ayant été rejetée, il a interjeté appel. La CAA de Nantes rappelle d’abord qu’il « appartient à l’autorité administrative affectataire de dépendances du domaine public [le musée] de gérer celles-ci tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général ». Elle rappelle ensuite que ces dépendances (les collections) « peuvent être le siège d’activités de production, de distribution ou de services » et que le musée doit donc prendre en compte les grands principes qui régissent ces activités, en l’occurrence la liberté du commerce et de l’industrie. La Cour souligne également que le maire de Tours « ne saurait utilement se prévaloir (…) des dispositions de l’article 25 1er alinéa d’un arrêté municipal du 26 juin 1984, portant règlement intérieur du musée des Beaux Arts de Tours, interdisant la photographie des œuvres en vue d’une utilisation commerciale. » Un raisonnement similaire peut être tenu pour un photographe amateur, au nom de la liberté de création. Comme le conclut Anne-Laure Stérin : « Dès lors que les conditions de conservation et de sécurité sont garanties, le musée ne dispose d’aucun motif pour interdire les photographies de biens publics. ». Y compris par la voie contractuelle.
It’s the first I hear about this problem and it seems perfectly bizarre.
Could you please tell me the reason why he was forbidden to take pictures?
Am I right supposing that he didn’t intend to make a commercial use of the photos and so wasn’t in violation of the museum rules?
The photographer wanted to be allowed to take pictures for commercial use. The mayor refused because commercial use was forbidden by the museum’s by-laws. The photographer took the matter to court on grounds of liberty of commerce. The court stated that, the museum’s collections being public property, no restriction might be put upon their use, as long as visitors security and artworks protection are not compromised.
« ADBS »
Corrigé, merci.
Bonjour. Juste une petite correction de jargon juridique :
« Le photographe a contesté cette décision devant le tribunal administratif. Sa requête ayant été rejetée, il a interjeté appel ».
Sinon, le sujet est vraiment passionnant. Bonne continuation.
Merci de la correction. J’étais très fière de mon « interjeter », mais j’ai encore des progrès à faire pour parler le juriste dans le texte.