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Le droit d’auteur à la rue

30 août 2011
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Sur son blog Hyperbate, Jean-Noël Lafargue évoque la mésaventure qui lui est arrivée récemment. (Ex-)passionné de graffitis, il a accumulé beaucoup de photos de ces œuvres qui ornent nos murs, et en a placé quelques-unes sur Wikimedia Commons, la médiathèque libre associée à Wikipédia. Parallèlement, l’initiative Wikiposters offre aux visiteurs de l’encyclopédie la possibilité de faire tirer un poster à partir d’une image qu’ils ont particulièrement appréciée. L’ADAGP, société de gestion collective des droits d’auteur dans les arts visuels, s’en émeut et demande par courrier électronique à Jean-no de bien vouloir retirer de Wikimedia Commons des photos représentant une œuvre de Miss Tic, car l’artiste s’oppose fermement à ce type de réutilisation.

La position traditionnelle de Commons est d’accepter les photos de graffitis. Le recueil des cas fréquemment rencontrés indique que les graffitis sont « essentiellement des peintures murales réalisées illégalement », qu’ils ont bel et bien un auteur, mais qu’il est improbable qu’un juge accorde la protection du droit d’auteur à une œuvre illicite.

You're entering a world of pain

« You're entering a world of pain », graffiti à Berlin, anonyme (cliché Onanymous)

Passons sur l’assimilation rapide « graffiti = œuvre réalisée illégalement ». Contrairement à ce que vous pourriez croire, le reste du raisonnement n’est pas absurde. La Cour de Cassation déclare ainsi le 28 septembre 1999 qu’« en l’absence de preuve de son caractère illicite, une œuvre (…) bénéficie de la protection accordée par la loi sur la propriété littéraire et artistique. » Il s’agissait en l’espèce d’un film pornographique : la Cour de Cassation affirme que le droit d’auteur ne doit pas être un instrument de censure et qu’une œuvre, même immorale, est protégée. Pour autant, elle déclare en creux que la protection du droit d’auteur disparaît quand l’illicéité est prouvée. Or l’article 322-1 du Code pénal proscrit « le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation préalable, sur les façades, les véhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain ». Dès lors, un graffiti non autorisé ne devrait pas être protégé (Pierre-Yves Gauthier, Propriété littéraire et artistique, §54).

Une jurisprudence particulirèrement intéressante du 27 septembre 2006 remet en cause cette position classique. En l’espèce, des magazines spécialisés publient les photos de graffitis ornant des wagons de la SNCF. Cette dernière attaque les revues au nom de son droit à l’image sur les wagons. La Cour d’appel de Paris la déboute le 26 septembre 2006, car « les wagons reproduits ne le sont que de façon accessoire, c’est-à-dire en tant que support d’œuvres éphémères, les graffiti, qui, eux, sont reproduits de façon principale ». Notons d’abord que la Cour écrit un graffito, des graffiti. Elle estime que la SNCF ne peut faire valoir son « droit à l’image des biens » faute d’avoir démontré que ces graffitis lui causaient un trouble anormal. Surtout, elle qualifie ces graffitis d’« œuvres éphémères », qualificatif habituellement appliqué par exemple aux sculptures sur glace ou de sable. En effet, ces œuvres réalisées sans l’accord du propriétaire sont illicites, et la SNCF exerce légitimement son droit de propriété en les faisant disparaître. Les artistes grapheurs ont bien conscience que leur œuvre peut à tout moment être effacée ou repeinte. En ce sens, elle est éphémère. En revanche, elle est bel et bien protégée par le droit d’auteur notamment si elle est fixée, typiquement dans une vidéo ou une photo. L’artiste jouira de ses droits patrimoniaux et moraux sur la représentation de son œuvre. Il sera également protégé contre la copie.

Certains pays, comme l’Allemagne, établissent un régime particulier du droit d’auteur pour les œuvres situées sur la voie publique, qui peuvent être librement reproduites sans l’accord préalable de l’auteur : c’est ce qu’on appelle la liberté de panorama. C’est ce qui me permet d’illustrer cet article par une photo de graffiti prise à Berlin. La France ne prévoit toutefois aucune exception de ce type. Par conséquent, l’ADAGP a raison et la photo de Jean-no devra être supprimée de Commons.

Voir aussi

Mise à jour : précisions apportés à l’avant-dernier paragraphe.

One Comment leave one →
  1. Julian permalink
    11 novembre 2012 11:25

    Vous trouverez une analyse détaillée sur le sujet dans l’article de Wikipedia suivant :
    Statut juridique de l’art urbain en France

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Statut_juridique_de_l%27art_urbain_en_France#Pr.C3.A9tentions_de_certains_cr.C3.A9ateurs_sur_des_droits_d.27auteur

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