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CE 18 novembre 1949 Carlier

25 août 2010

L'objet du délit : la cathédrale de Chartres (cliché de BjörnT)

J’ai connu cet arrêt du Conseil d’État réuni en assemblée quand je faisais du droit administratif, car c’est l’un des exemples habituels de la « voie de fait », en l’occurrence un acte « manifestement insusceptible d’être rattaché à un pouvoir appartenant à l’administration » (© Conseil d’État, précisément l’arrêt Carlier) et de nature à porter atteinte au droit de propriété ou à une liberté fondamentale.

Le sieur Carlier, architecte de son état, n’apprécie pas la manière dont la cathédrale de Chartres a été restaurée et souhaite illustrer son point de vue par quelques photographies. La maréchaussée l’appréhende alors qu’il se livre à l’activité foncièrement louche consistant à prendre des vues extérieures d’un monument et l’emmène au poste, où il voit ses plaques photographiques confisquées. Sur demande de l’administration des Beaux-Arts, et dans un second temps, le maire lui interdit l’accès aux parties du monument « qui se visitent » (© le commissaire du gouvernement Gazier), par opposition aux parties affectées au culte. Notre héros réclame alors une indemnité au ministère de l’Éducation nationale, dont dépendent alors les Beaux-Arts, car il n’a pu effectuer une visite complète. Quatre mois plus tard, n’ayant obtenu aucune réponse, notre héros saisit le Conseil d’État.

L’arrêt Carlier est intéressant à plusieurs titres. Sur le plan de la justice administrative, le Conseil arrête que la saisie des plaques constitue une voie de fait : d’une part, la décision ne relève pas du pouvoir de police de l’administration en raison de son caractère exagéré ; d’autre part, la saisie des clichés sur le champ (par voie d’action d’office, comme on dit) ne se justifie par aucune urgence.

C’est plutôt la partie sur l’interdiction d’accès qui nous intéresse. Le Conseil arrête que :

« si le directeur général des Beaux-Arts pouvait, en vue de faire respecter l’affectation des dépendances du domaine public dont il a la charge, prendre à l’égard des usagers les mesures nécessaires pour prévenir toute atteinte à la conservation de ces ouvrages, il lui incombait de concilier l’exercice de ce pouvoir avec le respect de la faculté qu’a tout usager d’utiliser les dépendances du domaine public conformément à leur affectation. (…) La décision du directeur général des Beaux-Arts lui interdisant l’accès des parties de la cathédrale de Chartres où n’est célébré aucun culte est illégale. »

D’abord, notons que le Conseil d’État rattache la cathédrale de Chartres au domaine public (au sens de la domanialité publique), ce qui à l’époque n’était pas évident : la cathédrale, bâtie avant 1905, appartient à l’État, mais elle n’est pas affectée au service public. Il s’agit ici de domanialité publique par détermination de la loi, ici celle du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.

Plus important, le Conseil reconnaît une forme de servitude d’accès aux monuments du domaine public : l’impératif de protection du monument ne justifie pas en l’occurrence une interdiction d’accès, comme c’est le cas par exemple à Lascaux ou pour la grotte Chauvet. Bénédicte Gleize conclut, dans La Protection de l’image des biens (Defrénois/Lextenso éditions, 2008, §425) qu’« avec cet arrêt, c’est la liberté de photographier les monuments historiques, et plus généralement les biens du domaine public, qui est implicitement consacrée par la jurisprudence administrative. »

4 commentaires leave one →
  1. 4 octobre 2010 20:21

    Comment alors expliquer que des gens se fassent intercepter quand ils photographient, sans flash, l’intérieur d’églises, au motif que la commune / le diocèse (?) aurait donné l’exclusivité à un éditeur de cartes postales ?

    Doit-on menacer le vigile de poursuites pour « voie de fait » ?

  2. 5 octobre 2010 21:05

    Dans le même genre, des gens racontent s’être vu interdire de prendre des photos de la BnF Tolbiac au nom du droit d’auteur de Dominique Perrault.

    Indépendamment de ce droit d’auteur ou d’un éventuel contrat avec un éditeur quelconque (légalité ?), tu as quand même le droit de photographier pour ton usage personnel. Après, pour faire respecter ses droits en pratique, j’avoue que je n’ai pas d’idées.

  3. 12 octobre 2010 18:38

    @Jastrow: Il est clair que si le vigile a reçu des consignes, ce n’est pas en lui sortant une citation d’un arrêt du CE que tu lui feras entendre raison.

  4. Gérard permalink
    2 novembre 2010 22:13

    Tiens, ça me rappelle que je me suis fait éjecter de la cour de la mairie après avoir pris une photo de la mairie du IXe arrondissement à Paris (File:ParisMairie9ème.JPG pour ceux que ça intéresse)

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